L’homme-fleur

Il aurait préféré être près d’une fenêtre. Il remarqua que l’air était sec et avait un goût à la fois synthétique et métallique. Ceci dû sans doute à la moquette bouclette-grise–entretien-facile-taches-invisibles et aux meubles en contreplaqué-acier et aux machines qui soufflaient un air usé.

Il sut tout de suite qu’il dépérirait ici. Mais personne ne lui demandait son avis. On le plaça près des toilettes. Il devait appeler soixante prospects par jour et leur vendre des assurances-vie pour chien. Il aimait bien les chiens, ça tombait bien.

Le job consistait à vendre de la peur à des petits retraités et à des RMistes en fin de droit. La peur qu’il arrive quelque chose à leur animal préféré, souvent le dernier être vivant à partager leur quotidien. La peur qu’ils ne puissent y faire face. Ça marchait très bien, étonnamment bien.

Bonhomme ne pouvait pas se permettre de réfléchir à ce qu’il faisait. Il avait passé un contrat : il vendait quelques heures de sa vie contre une certaine somme d’argent. L’important était que cet argent lui permette tout simplement de payer ce qu’on lui réclamait et ce dont il avait besoin. Quelques heures et il pourrait ressortir à l’air libre.

Bonhomme avait parfois conscience de son inconsistance. Ni beau ni moche, la cinquantaine bien économisée, il n’avait pas d’amis, plus de parents ni de plans d’avenir. Quant à son prénom, à part ses papiers d’identité et quelques courriers administratifs, rien ni personne ne s’en souvenait. Dans son enfance, on l’appelait Jojo. Joseph, Georges, Johnny ? Qui sait ? C’était sans importance, car qui l’appelait ? Sa concierge, son patron, quelques commerçants. Pour eux, il était Monsieur ou Bonhomme, ça suffisait amplement.

N’allez surtout pas croire que Bonhomme réfléchissait avec nostalgie, angoisse ou désespoir à la perte de son humanité. Il n’y pensait jamais et même si vous lui en aviez parlé, vous auriez été surpris de voir à quel point tout cela lui semblait parfaitement inutile, car il avait une passion qui nourrissait son âme, une passion tranquille qui l’emplissait tout à fait : la botanique.

A force d’être avec des plantes, il leur ressemblait de plus en plus. Il aimait la lumière, le vent, la pluie, fuyait les discours, les gens, le bruit.

Dès qu’il sortait de l’immeuble où était son bureau, il appréciait la qualité de l’air, levait les yeux vers le soleil. Il reprenait ainsi contact avec le vrai monde. Puis, il rentrait chez lui à pied en s’appliquant à ne pas marcher aussi vite que les autres, à regarder la vie autour de lui,  à observer les plantes qu’il croisait sur sa route. Il éprouvait une joie pleine de reconnaissance chaque fois qu’il en croisait une qui avait réussi à percer le béton, à s’installer dans une faille d’asphalte et à ainsi défier le monde humain. La benoîte des villes, la cymbalaire des murailles, la linaire jaune, l’arabette des dames, la mauve, la violette, la chicorée. Certaines débordaient des jardins comme l’églantine, le chèvrefeuille, le houx, l’impatiente. Il les saluait toutes discrètement comme autant de compagnons de résistance.

Depuis quelques mois déjà, il cultivait dans son deux-pièces une plante inconnue dont il avait rapporté des graines d’un voyage au Costa Rica, organisé par l’association dont il était membre. Il faisait un voyage par an, toujours avec la Société Botanica. Ce n’était pas dans le but de rencontrer des gens ni de se faire des amis. Il s’efforçait au contraire de ne sympathiser avec personne, ce qui – il faut vous l’avouer – n’était pas très difficile, car personne ne semblait le remarquer. Il avait le don de passer inaperçu tant il était peu sociable. Cela lui avait valu d’être plusieurs fois parmi les premiers licenciés par ses précédents employeurs, sans doute parce que se séparer de lui n’était pas douloureux puisqu’il ne s’était attaché à rien ni personne et que personne ne l’avait pris en amitié.

Les graines, qu’il avait plantées dès son retour, avaient germé à une vitesse inouïe. A cause de la petitesse de son appartement, il n’avait pu conserver que sept pieds qui envahissaient désormais tout son front de fenêtre, ne laissant que très peu de lumière filtrer dans la pièce. Les plantes avaient d’abord grandi vers le plafond qu’elles avaient atteint en l’espace de quelques semaines, puis s’étaient mises à faire le tour de l’appartement, le long des murs, sans avoir besoin de tuteur ou d’aide quelconque. Elles se contentaient d’être des lianes souples et sans feuilles. Leur vitalité, leur façon de s’imposer et d’occuper d’office tout l’espace disponible fascinait Bonhomme, sans doute parce qu’elles faisaient ainsi preuve de qualités qui lui étaient tout à fait étrangères. Maintenant, elles avaient fait plusieurs fois le tour de la pièce et Bonhomme avait craint de ne plus pouvoir un jour ouvrir la porte pour rentrer chez lui. Mais, comme si elles étaient douées d’intelligence, les plantes évitaient les portes et respectaient l’espace de vie de Bonhomme : son lit, son bureau, son fauteuil, le coin cuisine, les portes.

Quand tout l’espace possible fut occupé, elles cessèrent d’étendre leurs tiges et se concentrèrent sur le développement des feuilles. Il leur suffit de quelques jours pour venir au monde. Elles naquirent enroulées dans une magnifique gaine de soie violette puis se déroulèrent lentement et se révélèrent un soir dans toute leur majesté : brillantes, d’un vert profond comme les eaux d’un lac nordique, grandes comme les semelles d’un géant. Bonhomme, envahi d’une fierté toute paternelle, les trouvait magnifiques.

Puis les plantes consacrèrent leur énergie à la production de bourgeons qui prirent, en quelques heures seulement, la taille d’une mangue. Après quoi, elles s’arrêtèrent. Depuis des semaines déjà, elles ne bougeaient plus. Elles ne montraient aucun signe de déconfort ni de mécontentement. Les feuilles gardaient toute leur superbe, les bourgeons toute leur vitalité. Mais elles semblaient attendre quelque chose…

Qu’attendaient-elles donc ? Pour le savoir, lisez la suite dans le recueil…

Je veux savoir la suite, je commande la pieuvre d’amour…

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